Apprendre à respirer, quelle notion saugrenue ; personne n’a besoin d’apprendre, la respiration est un réflexe inconscient. Sans quoi on ne pourrait pas dormir sans risquer l’asphyxie !
Bien sûr, « respirer » au sens de : tes poumons se gonflent / se vident, ton corps absorbe l’oxygène dont il a besoin, ça, ce mécanisme est effectivement un réflexe inconscient.
Réflexe contre nécessité
J’ai pris conscience de ce réflexe la première fois que j’ai plongé : à peine mise à l’eau, j’ai gonflé mes poumons À BLOC. Réflexe de survie, bien sûr : tu me fous à la mer flanquée de plombs, je retiens ma respiration le plus longtemps possible avant la noyade.
J’étais pas sous l’eau depuis une minute qu’il me fallait déjà désamorcer un mécanisme-réflexe dont je n’avais jamais pris conscience, pour réussir à expirer sous l’eau.
Être centrée sur ma respiration ?
Pendant mes premières plongées, j’étais obsédée par mon souffle. J’avais la sensation de plonger à l’intérieur d’une bulle, qui symbolisait mon espace de survie.
Si j’arrête de respirer, la bulle s’écrase, et si elle s’écrase, je n’ai plus d’air, je meurs d’asphyxie.
C’était clairement la première fois de ma vie que j’accordais autant d’importance, mais surtout autant d’attention à mon souffle. Je n’y avais jamais réfléchi, avant. Et soudain, c’était au premier plan : comment je respire ? Est-ce que j’inspire suffisamment ? Est-ce que j’expire suffisamment ?
C’était aussi la première fois que je voyais, en direct, les effets de ma respiration sur mon corps tout entier : j’étais en apesanteur, je pouvais me sentir monter, tomber, glisser selon ma position dans l’eau et surtout, selon l’intensité et la fréquence de mes respirations.
De la plongée à la méditation
Ce n’est que deux ans plus tard que j’ai découvert la méditation, et il m’aura fallu encore un an pour la pratiquer assidûment.
Comme en plongée, la méditation repose sur le souffle. Et j’ai enfin compris pourquoi la plongée m’avait fait tellement de bien : ça m’avait appris à me centrer sur ma respiration, à l’accompagner, à l’amplifier, à la ralentir, et à ne pas la subir.
Ma première inspiration libre : c’était sous l’eau
Ce paradoxe est fou, mais la première fois que je me suis sentie respirer vraiment, une grande et longue inspiration du fond du ventre, c’était sous l’eau.
Ça devait être ma quatrième ou cinquième plongée, c’était à Hyères. La visibilité était magnifique, les rayons du soleil faisaient scintiller les saupes et les sars à tête noire.
Nous étions en suspension à 8 mètres, et j’étais bien. J’étais vraiment bien, j’étais vraiment là, dans ce moment, devant ce tableau, et nulle part ailleurs : pas en train de penser à mes travaux en retard, pas en train d’anticiper des galères, pas en train de ressasser des vieux dossiers.
Pas en train de penser à autre chose qu’à la beauté de ce moment, à la sérénité de ce tableau, au bien-être doux et profond que je ressentais à cet instant précis — alors même que j’avais 8 mètres d’eau au-dessus de la tête.
J’ai pris une inspiration qui venait de sous le diaphragme, comme si je découvrais une nouvelle cavité. J’ai senti ma colonne vertébrale se détendre et se dresser, mes épaules s’écarter légèrement, et ma tête se relever.
Je respirais vraiment, pour la première fois.
À la surface, j’oublie de respirer
J’adore la plongée pour ça : elle me ramène à mon souffle. De retour à « la vie civile » comme je l’appelle, je me laisse entraîner par les engrenages du quotidien.
Pourtant, je n’ai pas à me plaindre, j’ai la belle vie. Beaucoup de liberté, ce qui est exactement ce que je cherche. Mais je suis persévérante, appliquée, impliquée, volontaire, bosseuse, et j’ai tendance à foncer tête baissée dans le travail, parce que l’accomplissement concret des tâches du quotidien me rassure et me satisfait.
J’oublie de respirer. Et je m’habitue à ne prendre que des inspirations réduites, contraintes, rapides, volées.
J’oublie la sensation libératrice de l’air qui te nettoie les tripes et embarque les soucis en ressortant de ta gorge.
Je ne sais plus respirer
J’ai attaqué ma préparation au niveau 3 secouée dans mes habitudes de plongeuse, avec la sensation que je ne savais plus plonger.
C’est surtout que je ne savais plus respirer. Ces deux dernières années, j’avais appris à vivre avec un niveau de stress et d’anxiété élevé en permanence.
C’est comme tout, on s’habitue, je pense. Je me suis habituée à cette tension résiduelle. J’étais claquée en fin de semaine, mais c’est normal aussi, quand tu t’investis vraiment dans ce que tu fais, tu suintes quelques gouttes de sueur. La base.
Je rechargeais mes batteries par le repos, les loisirs, la déconnexion… Mais j’avais perdu ce lien avec la respiration.
De retour dans l’eau pour le niveau 3, je m’en rends même pas compte mais je suis toujours à ce niveau de stress élevé. Ça m’a pris les deux semaines, les discussions avec les autres plongeurs, et surtout les conseils de mon moniteur pour réussir à percuter que j’étais déconnectée de ma respiration.
Scuba diving training 101 : breathe
Le défi que je me lance pour les mois à venir, c’est d’entretenir et de consolider ce lien avec la respiration.
Ne plus le perdre dans la frénésie de ma vie parisienne, dans l’enchaînement des rendez-vous et des soirées, dans la pression des deadlines, des rushs et des crises à gérer.
Quoiqu’il se passe à Paris, aucune situation n’a jamais été et ne sera jamais aussi potentiellement risquée que lâcher-reprendre son embout à 40 mètres de fond. Et si j’arrive à ne pas bloquer ma respiration dans cette situation, je devrais réussir à affronter n’importe quelle situation à la surface sans oublier de respirer.
En plongée, ça se voit si je ne respire plus, ou si je respire mal : mon équilibre est directement perturbé.
Dans la vie aussi, mon équilibre est perturbé, et dans la vie aussi, je me noie quand j’arrête de respirer. Mais ça se voit moins.
Sans doute parce que ça fait moins de bulles, quand on s’essouffle à la surface.